Philippe Robert,
Le citoyen, le crime, l'Etat,
Genève, Droz, 1999, 311 p.
"Entre le citoyen et l'Etat, un conflit est peut-être en train de se nouer à propos du crime: un fossé profond semble bien s'être creusé entre ce que font les pouvoirs publics et ce qu'attendent les citoyens". C'est par ces mots que débute un livre de sociologie qui offre une quantité d'informations et d'interprétations très rigoureuses sur l'évolution de la délinquance et de son traitement institutionnel dans la société française. L'auteur mobilise pour cela toutes les données quantitatives disponibles (statistiques de police et de justice, enquêtes de victimation, sondages sur le sentiment d'insécurité) et il en livre une interprétation sur le long terme.
Comment en est-on arrivé là ? Pour répondre, Ph. Robert rappelle d'abord comment s'est constitué l'Etat de sécurité : juridiquement à partir de l'Ancien régime, dans la réalité sociale surtout à partir de la seconde moitié du XIXème siècle. Il en vient ensuite au dérèglement de cet Etat de sécurité, caractérisé par la courbe de l'évolution des prédations et des agressions constatées par les forces de l'ordre depuis 1950. Il tente d'expliquer la montée du phénomène dans les années 60 et 70, puis ses caractéristiques actuelles. Il analyse ensuite l'évolution du sentiment d'insécurité. Enfin, il met en évidence ce qui en constitue un ressort profond : le "ciseau" qui s'est créé au fil du temps entre des faits délictueux de plus en plus nombreux (surtout des vols) et un efficacité policière de plus en plus douteuse. Au cœur de cette évolution, un fait social général : le fonctionnement de la vie sociale moderne est de plus en plus anonyme, les individus travaillent loin de leur domicile, laissent leurs voitures dans des grands parkings ou dans des rues désertes la nuit, la surveillance du voisinage n'existe plus dans la grande ville, etc. Cet anonymat facilite le vol, pousse les victimes à se retourner vers l'Etat mais rend aussi plus difficile l'élucidation policière. D'où le développement d'un marché de la sécurité privée (sans comparaison toutefois avec ce qu'il est aux Etats-Unis), auquel l'auteur consacre aussi un chapitre. Il analyse enfin l'évolution des politiques publiques de réponses à l'insécurité, depuis le silence des années 1960 jusqu'à la tendance sécuritaire actuelle, caractérisée par "l'obsession des banlieues", la recherche d'une plus grande efficacité policière et d'une plus grande rapidité judiciaire. Mais les dispositifs s'accumulent au fil des gouvernements et ils ne constituent pas une politique cohérente et efficace, plutôt un "bricolage". Et quand bien même l'on parviendrait à mieux articuler répression et prévention dans une grande politique de sécurité publique, l'auteur rappelle en conclusion que les racines des problèmes sont ailleurs : dans la désaffiliation sociale (R. Castel) d'un nombre croissant d'individus. Au total, parmi les innombrables livres qui paraissent depuis quelques années sur les questions de délinquance, de criminalité, de police et de justice, l’ouvrage de Ph. Robert est de ceux qui feront référence et qui mérite une lecture attentive.