A propos de quatre livres sur Mauss

 

Référence :

Revue française de sociologie, 1999, 1, pp. 171-176.

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A propos de Mauss

 

Mauss Marcel, Écrits politiques, Paris, Fayard, 1997, 812 p (textes réunis et présentés par Marcel Fournier).

Fournier Marcel, Marcel Mauss, Paris, Fayard, 1994, 844 p.

Karsenti Bruno, Marcel Mauss. Le fait social total, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, 128 p.

Karsenti Bruno, L'homme total. Sociologie, anthropologie et philosophie chez Marcel Mauss, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, 456 p.

 

 

Marcel Mauss est à l'honneur. Le neveu et disciple de Durkheim s'est vu consacrer en l'espace de trois ans trois colloques internationaux (1), trois livres d'ensemble, enfin une édition de ses textes politiques qui vient heureusement compléter ses écrits scientifiques réunis par Victor Karady il y aura bientôt trente ans.

Cette édition de textes ne saurait appeler dans le cadre d'un compte rendu une analyse systématique. On le savait, tandis que son oncle ne sortit que rarement du champ intellectuel stricto sensu (à de notables exceptions près comme l'Affaire Dreyfus, le mouvement des universités populaires et la guerre de 14-18), Mauss fut un sociologue profondément engagé dans les mouvements sociaux et politiques de son temps. Toutefois, ses interventions étaient disséminées dans d'innombrables revues et journaux militants, aussi n'avaient-elles pas suscité beaucoup de travaux. Il convient donc de saluer le labeur considérable de Marcel Fournier grâce à qui nous disposons à présent d'une imposante masse de textes (pour certains jamais publiés) qui couvrent toute la vie intellectuelle de Mauss (1896-1942) (2). Ces textes sont cependant de nature fort différente et d'intérêt très inégal pour les sociologues. Mise à part la fameuse " Appréciation sociologique du bolchévisme (1924) " (p. 537-566), dont M. Fournier publie aussi ce qu'il présente comme une version antérieure ou préparatoire de ce texte (" Les idées socialistes. Le principe de la nationalisation ", p. 249-266 , auquel on pourrait du reste ajouter le texte suivant sur " Les coopératives russes ", p. 275-299), ce recueil offre bien peu d'analyses de fond (3). On ne trouve pas non plus beaucoup d'écrits politiques à portée générale comme " L'action socialiste (1899) " (p. 72-82). On s'intéressera enfin à un texte qui relève en réalité davantage de l'oeuvre scientifique de Mauss (le compte rendu d'un livre du sociologue belge G. De Greef qui ouvre le recueil [p. 63-71] et qui aurait tout aussi bien pu figurer dans l'Année puisqu'il critique la " méthode sociologique " d'une contribution à la " sociologie générale "). En réalité, à côté de quelques notices nécrologiques, l'essentiel du livre est constitué d'une foule de brefs articles de journaux commentant l'actualité politique, sociale et économique, documents qui intéresseront surtout les spécialistes de l'histoire des socialismes français. Quant à l'introduction de M. Fournier, elle présente bien la chronologie des principaux engagements politiques de Mauss, elle offre un panorama de sa vie militante, mais elle demeure succincte. Pour l'essentiel, elle reprend et développe les passages correspondants dans la biographie publiée par l'auteur en 1994. Les textes de Mauss sont ensuite donnés sans commentaire (4) et dans un ordre strictement chronologique. Un index thématique permet toutefois heureusement un premier repérage.

 

Durkheim avait depuis longtemps sa biographie de référence (5), Mauss a désormais la sienne, à nouveau grâce aux efforts de M. Fournier. Ayant exploité systématiquement le Fonds Hubert-Mauss du Collège de France (comprenant une très vaste correspondance ainsi que de nombreux textes non publiés) ainsi que les quelques archives familiales, l'auteur nous offre une histoire vivante et un portrait à visée exhaustive de Mauss. On sait sans doute désormais tout ce qu’il était possible de retrouver sur l’enfance de Mauss, son éducation juive, son " éducation intellectuelle " par Durkheim, ses premiers engagements politiques, son amitié essentielle avec Henri Hubert, son rôle durant l’Affaire Dreyfus, son rôle dans l’Année sociologique, la part exacte de lui, de Hubert et… de Durkheim dans la plupart des textes cosignés du début du siècle, sa vie politique, ses réseaux scientifiques nationaux et internationaux, sa carrière depuis l’Ecole Pratique des Hautes Etudes jusqu’au Collège de France, etc. Ce travail est impressionnant par sa dimension, agréable à lire, complet dans ses thématiques, mais n'étant guère susceptible de soulever des objections importantes dans l'interprétation de l'oeuvre tant il prend peu de risque à cet égard. Au fond, cette biographie est essentiellement une chronologie très érudite de la vie personnelle, scientifique et politique de Mauss. M. Fournier " colle " aux événements privés ou publics de la vie de Mauss comme il " colle " à ses idées. Il résume ses écrits au moment où ceux-ci se présentent dans l'ordre qu'impose la chronologie. Rien de moins (et, répétons-le, c'est déjà considérable) mais rien de plus. Ce qui manque tout de même un peu à l'arrivée, c'est une mise en perspective de Mauss dans l'histoire de la sociologie française, une comparaison en amont et en aval. En amont la question se pose, capitale, de déterminer la nature de la filiation intellectuelle entre Durkheim et Mauss. Qu'est-ce que Mauss doit véritablement à Durkheim ? qu'est-ce qu'il doit à d'autres ? en quoi a-t-il voulu faire évoluer l'héritage imposant et parfois sans doute encombrant du fondateur de l'école française de sociologie ? Les réponses existent (nous verrons celles que proposent B. Karsenti) mais M. Fournier ne pose pas véritablement les questions. Dans l'épilogue de son livre (p. 760-767), il s'interroge par contre sur l'aval : qui sont les héritiers, les successeurs, les débiteurs de Mauss ? Et c'est sur ce point que l'on peut faire quelques réserves.

M. Fournier accumule en ces quelques pages un très grand nombre de témoignages d'amitiés et de reconnaissance émanant pour la plupart d'anciens élèves de Mauss. Mais si ces textes témoignent d'amitiés et de souvenirs chaleureux, ils ne constituent pas des preuves de filiation intellectuelle. M. Fournier le sent bien et conclut que Mauss n'eut en fin de compte que " deux héritiers bien différents " : Georges Gurvitch et Claude Lévi-Strauss (p. 765). Pourtant, ces filiations nous semblent à leur tout fort peu sûres (6).

Certes, Gurvitch a repris à Mauss l'ambition " ouvrant des perspectives nouvelles " de traiter les " phénomènes sociaux totaux " (7). Toutefois il en a singulièrement détourné la définition pour évoquer, selon sa propre perspective, des " forces volcaniques " qui seraient au principe de l'évolution discontinue des sociétés. Certes encore, dans son panorama de l'histoire de la sociologie, Gurvitch présente (en quelques lignes) Mauss comme " le plus important et le plus original des continuateurs de Durkheim ", mais il ne fait ici qu'entériner le jugement de la communauté des sociologues de l'époque (8). Au delà des formules, Gurvitch s'est-il inspiré directement de Mauss dans l'un de ses ouvrages ? Nous en doutons. Par exemple, dans tous ses travaux sur la sociologie de la connaissance (domaine que Durkheim et Mauss ont créé en France), Gurvitch met bien en avant la tradition française, mais le " grand maître de l'ethnologie française " qui a pris selon lui la suite de Durkheim en ce domaine n'est pas Mauss : c'est Lucien Lévy-Bruhl (9).

La filiation maussienne de Lévi-Strauss nous semble tout aussi peu probante. Il faut ici se reporter à la fameuse " Introduction à l'oeuvre de Mauss ", préface au premier recueil de textes de Mauss publié en 1950 : Sociologie et anthropologie. On sait que Gurvitch avait ajouté un " Avertissement " dans lequel il estimait que Lévi-Strauss s'était livré à " une interprétation très personnelle " de Mauss. Le mot était fondé. Certes, Lévi-Strauss résume bien certains temps forts des textes rassemblés. Mais la suite du commentaire révèle une stratégie d'un tout autre genre : si Lévi-Strauss exalte avec emphase le " courage " et la " clairvoyance " de Mauss, " le pouvoir extraordinaire de ces pages désordonnées " à travers lesquelles il serait donné " d'assister à un événement décisif de l'évolution scientifique " (1950, p. XXXIII), c'est pour mieux mettre rapidement en scène ses propres théories (10). En effet, selon Lévi-Strauss, Mauss avait tous les éléments du problème sur sa table mais il n'a pas su les relier : " Que Mauss n'ait jamais entrepris l'exploitation de sa découverte est un des grands malheurs de l'ethnologie contemporaine " (p. XXXV). En comparant, Mauss a rompu avec " l'empirisme naïf " et avec " un appareil de postulats sans valeur scientifique " qui se cacherait derrière le fonctionnalisme étroit de Malinowski (p. XXXVI). Mais il s'est arrêté là. Or, s'il avait prolongé, s'il avait lu les linguistes, il aurait compris que la raison d'être des systèmes de relations sociales ne se trouve pas dans leur exercice social concret mais en eux-mêmes, il aurait alors franchi " le pas décisif " vers la " mathématisation des sciences sociales ", il aurait écrit " le novum organum des sciences sociales du XXème siècle ". Or Mauss n'a pas écrit ce texte " qu'on pouvait attendre de lui et dont il tenait tous les fils conducteurs " (p. XXXVII). Ainsi, derrière l'éloge aussi appuyé que partiel de Mauss, se profile une entreprise d'auto-célébration, d'auto-intronisation même, qui se fait non pas avec Mauss, ni même à travers Mauss, mais peut-être contre Mauss. En effet, si Mauss n'a pas décrit les systèmes de relations d'interdépendance qui caractérisent le potlatch comme des structures qui trouveraient la raison d'être de leur existence " en elles-mêmes " et ne seraient réductibles à aucun contexte historique et social précis, ne serait-ce pas précisément parce qu'une telle idée aurait constitué à ses yeux " un appareil de postulats sans valeur scientifique " ?

Pour déterminer l'héritage de Mauss, il nous semblerait bien plus juste et fécond de se plonger de façon véritablement érudite dans l'oeuvre de ceux qui furent ses élèves à l'Institut d'ethnologie de Paris avant la Seconde guerre mondiale : Georges Devereux, Louis Dumont, Marcel Griaule, Maurice Leenhardt, André Leroi-Gourhan, René Maunier (dont le cas est un peu différent [11]), Alfred Métraux, Denise Paulme, Jacques Soustelle, etc. Là se trouve, éparse, disséminée, par définition jamais systématique, mais peut-être parfois profonde, l'influence de celui qui considérait son enseignement avant tout comme une ouverture à l'esprit critique et comme un éveil des vocations.

 

Passons à présent à un style bien différent d'analyse de l'oeuvre de Mauss. Les deux livres de Bruno Karsenti n'en forment à bien des égards qu'un seul, le premier (paru dans une collection de poche) résumant le second, à l'exception de la partie consacrée au langage. Ici encore, faute de pouvoir entrer dans tous les détails, nous nous bornerons à indiquer les apports et les limites de ce travail qui laisse son lecteur dans une ambivalence certaine. Les apports, pour commencer. B. Karsenti place explicitement au centre de son travail la question délaissée par M. Fournier : l'héritage durkheimien de Mauss. C'est ici qu'il fait les propositions à notre sens les plus intéressantes. Sur deux points théoriques centraux, ses analyses de textes montrent comment Mauss a su dépasser les positions théoriques quelque peu dogmatiques de son oncle. Le premier point concerne les rapports de la psychologie avec la sociologie, partant de l'individuel au collectif (1997, p. 19-129, 207-244 ; résumée dans 1994, p. 52-94). Durkheim n'est jamais parvenu à sortir d'une conception des représentations collectives conduisant à une hypostase de la conscience collective et à une impossibilité à penser les relations entre l'individu et la société autrement que comme la détermination univoque du premier par la seconde. A contrario, Mauss a repensé ce problème et l'a résolu d'une toute autre manière : en recourrant à la notion de symbole, en enracinant son analyse dans l'individu concret (nécessairement tridimensionnel : bio-psycho-social) et dans les situations concrètes et complexes de la vie sociale, sortant ainsi de la conception durkheimienne du groupe comme masse uniforme vibrant à l'unisson. Le second point fort de son analyse concerne la définition du fait social (1997, p. 332-355 ; résumée dans 1994, p. 16-39). Dans les Règles, Durkheim le définit fondamentalement par la contrainte, généralement inconsciente, qu'il exerce sur les consciences individuelles. Trente ans plus tard, dans l'Essai sur le don, Mauss propose une vision bien plus nuancée et surtout plus interactive du rapport individu/société. Les systèmes d'échanges codifiés qu'il décrit l'amènent en effet d'une part à reconnaître les spécificités individuelles ou de sous-groupes au sein des sociétés traditionnelles, d'autre part à s'interroger sur la part d'autonomie et de " liberté " des acteurs de la vie sociale. Karsenti montre du reste que ce dépassement d'une caractérisation du fait social par la seule contrainte ou " force obligatoire " était présent dès le mémoire de Mauss sur la magie (1904).

Ainsi, en revisitant les principaux textes à portée générale de Mauss, B. Karsenti souligne le sens réel et profond de ses trop célèbres formules : " fait social total ", " homme total ". A juste titre, il insiste à de nombreuses reprises sur le caractère concret, phénoménologique, de ce que Mauss appelait souvent non plus la sociologie mais l'anthropologie.

Cela étant, ce travail appelle de nombreuses réserves. Passons sur la forme (les répétitions, le " style " philosophique, abstrait, à l'opposé de Mauss en définitive) pour aller à l'essentiel. Certes, l'auteur fait parfois preuve d'une belle finesse d'analyse des textes et il manifeste en plusieurs endroits une bonne information historique sur certains interlocuteurs contemporains de Mauss (d'autres durkheimiens, mais aussi Dumas, Blondel, Meillet, Berr, Malinowski, etc.). Toutefois, sa démarche purement analytique s'embarrasse tellement peu de l'histoire que, outre quelques erreurs factuelles – par exemple : l'anthropologue Armand de Quatrefages ne fut nullement un " continuateur " de Broca (p. 8), il était au contraire son aîné et surtout le chef de file du courant théorique diamétralement opposé ; de même le philosophe André Lalande ne fut en rien un " sociologue durkheimien " (p. 20) –, elle fait planer sur son texte un double risque permanent : la sur-interprétation et l'anachronisme.

L'exemple le plus frappant qui aurait facilement pu être évité est le développement consacré à l'étude du texte signé par Fauconnet et Mauss en 1901 (12). B. Karsenti (1997, p. 64 sqq) en fait le point de départ de toute son analyse de la critique maussienne des conceptions psychologiques de Durkheim, ce qui fait sourire quand on sait que, en réalité, Durkheim a non seulement relu de près et corrigé ce texte, mais qu'il en a même écrit certains passages. Dans ce genre de discussions, il est peu sérieux d'ignorer les informations apportées par M. Fournier : la lettre et le texte qu'il publie dans sa biographie (1994, p. 242-243) indiquent en effet que Durkheim a contrôlé l'ensemble du texte de ses deux élèves (qui faillit du reste être éditée par la suite sous forme de livre et sous leurs trois noms, avec la partie historique prévue initialement et que Durkheim et Fauconnet publieront par ailleurs [13]). Sans doute, comme le suggère à juste titre Fournier, peut-on voir dans les formules très arrondies du texte de 1901 (par rapport aux formulations abruptes des Règles) une stratégie d'apaisement de la part de Durkheim. C'est d'ailleurs également tout le sens de la préface à la seconde édition des Règles qui paraît la même année. Mais, on ne saurait en faire la manifestation d'une " critique profonde " et de surcroît dissimulée (Karsenti, 1997, p. 64) d'un Mauss rusé et clairvoyant envers un Durkheim qui serait bien aveugle. Il suffisait pour en douter de lire le travail de Fournier. Or, de façon aussi étonnante que révélatrice, sa biographie (parue trois ans auparavant) n'est utilisée par Karsenti qu'à une seule reprise, en note, comme un simple renvoi pour information. De manière générale, les travaux existant sur l'histoire de la sociologie et même sur Mauss ne sont du reste qu'exceptionnellement mentionnés.

Au-delà de cet exemple, les risques mentionnés ci-dessus sont en réalité systématiques dans le propos de l'auteur dans la mesure où la chronologie et la preuve par le document ne constituent pas pour lui des conditions sine qua non de l'écriture de l'histoire intellectuelle. C'est ainsi qu'il consacre de nombreuses pages à la psychanalyse (p. 71-81, puis 254-270) et utilise des textes de Freud et de Jung pour mettre en parallèle la pensée de ces auteurs et celle de Mauss. En soi, ces développements sont certes intéressants, mais on se demande en quoi ils servent l'analyse de la pensée de Mauss. En effet, Mauss a fait en tout et pour tout une seule allusion directe à un livre de Freud qu'il semble avoir lu (il s'agit logiquement de Totem et tabou qui traite beaucoup d'ethnologie) (14). Rien, absolument rien, n'indique que, au-delà de cette brève allusion (sur l'intérêt de la notion de psychose pour comprendre des phénomènes comme les hallucinations collectives, les vendettas, etc.), Mauss ait utilisé en quoi que ce soit la psychanalyse dans son oeuvre. Pourtant, à côté de comparaisons tombant historiquement fort à propos (sur l'anthropologie culturelle et surtout sur la sociolinguistique de Meillet), de fils conceptuels en aiguilles littéraires, B. Karsenti glisse de Mauss à ... Freud, Jung, Jacobson et puis Lacan, Kojève, Lefort, Merleau-Ponty, sans oublier Lévi-Strauss, Bourdieu, Baudrillard et Derrida ... Quant au rattachement initial de Mauss à une lointaine tradition philosophique incarnée par Maine de Biran (1766-1824), il nous semble purement gratuit (Karsenti, 1997, p. 7-13). Ce n'est pas parce que cet auteur parla lui aussi, un siècle plus tôt, de la nécessité d'étudier " l'homme tout entier " que Mauss doit être présenté comme l'héritier de cette tradition. Il y faudrait au moins un commencement de preuve. Or, dans toute son oeuvre, Mauss n'a jamais fait une seule allusion à Maine de Biran. En fait, ces rapprochements ne sont que des jeux de mots. A ce compte, on trouverait sans doute des formules du même genre chez des penseurs de l'Antiquité. Et après ?

En somme, B. Karsenti écrit en philosophe et s'adresse à des philosophes (il publie du reste dans une collection de philosophie). Son introduction à la pensée de Mauss est riche, parfois innovatrice et elle contient sur certains points un réel effort d'information historique. Toutefois cet effort n'est pas assez systématique pour protéger des erreurs, anachronismes et sur-interprétations. Les historiens de la sociologie pourront donc y nourrir leurs réflexions, mais ils devront se garder de la toujours regrettable attitude consistant à détacher les idées de leurs supports humains et sociaux concrets pour bâtir des rapprochements et des interprétations sans fondement. Ce faisant, ils seront davantage fidèles à Mauss...

 

Notes

 

  1. " Mauss : hier et aujourd'hui ", Lausanne, 9-10 novembre 1995 (organisé par l'Institut d'anthropologie et de sociologie de l'Université de Lausanne) ; " Marcel Mauss today ", Oxford, 26-29 septembre 1996 (organisé par le British Centre for Durkheimian Studies) ; " L'héritage de Marcel Mauss ", Paris, Maison des Sciences de l'Homme/Collège de France, 22-24 mai 1997 (organisé par M. Fournier).
  2. Parmi les travaux partiels déjà publiés sur lesquels M. Fournier a pu s'appuyer, nous devons signaler qu'il oublie de citer l'inventaire des textes de Mauss parus dans le journal Le populaire, établi par M. Francillon, Études durkheimiennes, 1983, 8, p. 5-7.
  3. Quant au célèbre texte inachevé " La nation " (1920), M. Fournier n'a logiquement pas jugé utile de le rééditer puisqu'il figure dans les Oeuvres rassemblées par V. Karady (vol. 3, p. 573-625).
  4. Seule la reproduction (p. 764) des deux lettres de Mauss à Elie Halévy et Svend Ranulf en 1936 est accompagnée de la reproduction du rapide commentaire qu'en avait fait Ph. Besnard (Études durkheimiennes, 1983, 8, p. 1).
  5. S. Lukes, Emile Durkheim. His life and work. A historical and critical study, London, Allen Lane The Penguin Press, 1973.
  6. Ainsi que l'avait déjà signalé Jean Cazeneuve dans un petit livre oublié (Sociologie de Marcel Mauss, Paris, PUF, 1968, p. 1-4 et 116-126).
  7. G. Gurvitch, La vocation actuelle de la sociologie, Paris, PUF, 3ème éd., 1963, vol. 1, p. 17-18 et 442-443.
  8. G. Gurvitch, Brève esquisse de l'histoire de la sociologie, in Traité de sociologie, Paris, PUF, 1960, vol. 1, p. 50.
  9. G. Gurvitch, Les cadres sociaux de la connaissance, Paris, PUF, 1966, p. 5-6. Les nombreux textes de Mauss indiqués en bibliographie (p. 292) ne sont en réalité pratiquement jamais utilisés dans l'ouvrage.
  10. " l'interprétation de Lévi-Strauss est nettement orientée par le souci de retrouver chez son maître des embryons de sa propre démarche " suggérait déjà C. Dubar, Retour aux textes, in " Marcel Mauss ", L'Arc, 1972, 48, p. 27.
  11. cf. A. Mahé, Un disciple méconnu de Marcel Mauss : René Maunier, Revue européenne des sciences sociales, 1996, 105, p. 237-264.
  12. P. Fauconnet, M. Mauss, Sociologie, La grande encyclopédie, 1901, 30, p. 165-176 (repris in Oeuvres, vol. 3, p. 139-177).
  13. E. Durkheim, P. Fauconnet, Sociologie et sciences sociales, Revue philosophique, 1903, 55, p. 465-497 (repris in Textes, vol. 1, p. 121-159).
  14. M. Mauss, Rapports réels et pratiques de psychologie et de la sociologie (1924), in Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950, p. 293.

 

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