Transformations de la famille et délinquance juvénile

Laurent Mucchielli

Problèmes politiques et sociaux, n°860, 20 juillet 2001

(Paris, La Documentation française)

 

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Le sommaire détaillé des thèmes abordés et des auteurs repris dans le recueil

 

Avant propos

Glossaire

Les mutations de la famille : le contexte sociologique

Des bouleversements difficiles à interpréter : texte de Irène Théry (1998)

Fragilisation de la fonction paternelle : texte de Françoise Hurstel (1996)

Une inquiétude à relativiser : texte de Laurent Mucchielli (2001)

Le problème classique de la communication entre les générations : texte de Michel Fize (1990)

L’évolution de la famille, facteur de déviance des enfants ? Les effets de la monoparentalité et du divorce

Un lien faible ou nul pour les délits graves : texte de Jean Trépanier (1995)

Un lien significatif pour la consommation de drogues douces

Les effets du divorce sur la personnalité des enfants : texte de Jean Devrillon (1996)

L’étude des rapports famille-délinquance sur la longue durée, l’exemple du Québec : texte de Marc LeBlanc (1988)

Le caractère primordial du contrôle parental. Des conditions d'exercice tributaires de l'environnement socio-économiques

Le rôle de la " supervision " à partir de la pré-adolescence : texte de L. Mucchielli (2000)

L’importance de la " puissance sociale " des parents : les constats des éducateurs : texte de Gilbert Delapierre (1996)

Le poids de la contrainte sociale et économique : texte de H. Delbreuve (1998)

Les limites du rôle de la famille : les pairs, l’école et le contexte sociétal

Expériences scolaires défavorables et délinquance : texte de Lode Walgrave (1992)

La télévision affaiblit-elle l'autorité parentale? : texte de Monique Dagnaud (1998)

L'influence de la position sociale : texte de Jean Trépanier (1995)

Les parents ont-ils " démissionné "? Un débat récurrent

Une très vieille histoire urbaine : texte de Jean-Jacques Yvorel (1998)

La mise en cause des parents dans le contexte politique actuel : texte de Pierre Stroebel (1999)

La mise en cause des parents par les enseignants : texte de Françoise Lorcerie (1999)

Une accusation injuste au vu de l’observation des pratiques

La rumeur des parents démissionnaires : texte de François de Singly (1997)

Les parents des cités : une conscience aiguë des risques encourus par leurs enfants : texte de Catherine Delcroix (1999)

Modifier le droit ou développer la médiation ?

Autorité et responsabilités parentales dans le droit français

De la puissance paternelle à l'autorité parentale : texte de Bernard Azéma (1996)

L'étendue de la responsabilité civile des parents à l'égard de leurs enfants : texte de Jean-Marc Lhuillier (1996)

L'Assemblée nationale redéfinit l'autorité parentale

Faut-il sanctionner les familles défaillantes ?

La suspension temporaire des allocations familiales : texte de Pierre Cardo (1999)

Des sanctions financières inefficaces et contraires à l'esprit des lois : texte du Groupe de travail du Comité des politiques familiales de la CNAF (1999)

Une mise sous tutelle : le risque d’effets pervers : texte du Groupe de travail du Comité des politiques familiales de la CNAF (1999)

Orienter la réflexion sur la prévention et notamment la lutte contre la déscolarisation : texte du Groupe de travail du Comité des politiques familiales de la CNAF (1999)

Encourager toutes les formes de médiation

L’exemple de l’éducation surveillée : texte du Conseil technique des clubs et équipes de prévention spécialisée (1997)

La médiation par les pairs : texte de Brigitte Liatard (2001)

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L'avant propos (Laurent Mucchielli)

A tort ou à raison, la délinquance juvénile est devenue l’un des thèmes politiques et sociaux majeurs de ces dix dernières années. Pour autant, tel qu’il est généralement abordé dans le débat public, le phénomène n’est guère lisible. Dans un consensus qui bouleverse le clivage idéologique traditionnel droite/gauche, beaucoup invoquent une " crise morale " et présentent une partie de la jeunesse comme dénuée de repères et de normes, en somme : insuffisamment socialisée. Dès lors, la famille devient la première cible de leurs préoccupations, voire de leurs accusations. La chose semble d’autant plus légitime que la famille connaît depuis quelques dizaines d’années des transformations importantes. Le mariage ayant cessé d’être considéré comme une institution, les couples se marient moins, se séparent ou divorcent de plus en plus, et du coup la proportion de familles monoparentales augmente, au moins temporairement (souvent les familles se recomposeront). La famille est donc apparemment plus instable. De là à parler d’une " crise de la famille " et à faire le lien avec la précédente il n’y a qu’un pas, parfois également franchi ces dernières années. Entre psychologisme et moralisme, c’est donc la famille qui se trouve mise en question, sinon mise en cause. Les parents ne sauraient ou ne pourraient plus élever leurs enfants. A bien y regarder, les choses sont pourtant moins simples.

D’abord, l’histoire conduit presque immédiatement à douter de la nouveauté du problème. En Angleterre, en 1816, une Commission d’enquête sur les causes de l’accroissement de la délinquance dénonçait déjà la " conduite indigne des parents ". Quelques décennies plus tard, sous le Second Empire, la Préfet de Police de Paris prenait une ordonnance concernant la surveillance des enfants par leur famille. Il y accusait de " négligence " et menaçait de sanctions les parents qui " laissent [leurs enfants] courir et se réunir sur la voie publique " où ils contracteraient nombre de vices et causeraient moult désordres. Du début de la ville industrielle jusqu’à nos jours, en passant aussi par les " Apaches " du début du siècle et par les " Blousons noirs " du début des années 1960, le problème semble en réalité resurgir périodiquement, presque à l’identique.

En outre, l’histoire enseigne aussi la relativisation de ce qui est aujourd’hui regardé comme la " famille traditionnelle ", expression manifestement abusive. En effet, on ignore généralement que, pour des raisons autres que le divorce (notamment les guerres, mais aussi la faible espérance de vie des hommes dans les milieux ouvriers), d’autres moments de l’histoire ont connu des taux de familles monoparentales tout aussi importants, voire supérieurs à ceux d’aujourd’hui (1). Dès lors, les véritables changements sont plutôt à rechercher du côté de la " démocratisation " de la famille et des nouveaux rapports entre générations.

Ensuite, ce n’est qu’au prix d’un singulier raccourci explicatif que l’on peut tenter d’expliquer une crise sociale par des transformations qui affectent avant tout les relations inter-individuelles dans la famille. Que le divorce provoque souvent des souffrances, voire des incertitudes existentielles, n’est pas douteux. Que la monoparentalité et la recomposition compliquent le travail éducatif des parents ne l’est pas non plus. Mais de là à vouloir expliquer ainsi des conduites juvéniles de transgression des normes et de rejet de l’autorité, voire des violences faites à autrui, il y a un gouffre démonstratif. Il est clair, aux yeux des chercheurs et de certains professionnels de terrain, que les logiques d’attitudes, de rôles, d’identités, qui sous-tendent souvent les comportements délinquants des jeunes, relèvent d’autres niveaux d’explication.

Le premier est sans aucun doute celui des groupe de pairs. Centrés à tort sur le huis clos familial, décideurs politiques, enseignants, magistrats, psychologues et éducateurs négligent trop souvent le rôle direct et majeur que jouent d’autres agents de socialisation : les frères et sœurs, les copains, les camarades de classe. A partir de la pré-adolescence, la famille n’est plus la seule, ni même parfois la principale, instance de socialisation. Il faut clairement en prendre conscience.

Un second niveau d’explication conduit à s’interroger aussi sur le fonctionnement des véritables institutions socialisatrices que sont l’école, les administrations, services et autorités publiques, les médias et la vision du monde qu’ils dispensent, la société de consommation qu’ils consacrent. Quelles normes, quelles valeurs, quels repères sont dispensés explicitement et implicitement ? C’est aussi dans cet ensemble qu’il faut situer le problème, même si cette interrogation est parfois plus dérangeante.

Enfin, il faut considérer que le rôle de contrôle ou de supervision qui échoit en dernier ressort à la famille durant la pré-adolescence et l’adolescence des enfants n’est pas une qualité " naturelle ", dont l’exercice irait de soi. Trop souvent, le débat public semble ignorer que l’exercice d’un bon contrôle parental ne peut qu’être remis en cause par la situation matérielle et psychologique qui découle de l’échec socio-économique. Trop souvent, des hommes et des femmes de milieux relativement aisés, voire très aisés, portent des jugements moraux sur des milieux populaires dont ils ignorent les conditions de vie quotidiennes. Et sans doute le facteur migratoire ne fait-il ici que renforcer les a priori, les malentendus et les appréhensions réciproques.

Pour toutes ces raisons, on est tenté de penser que la principale chose à faire envers la famille est de la soutenir, et non de la stigmatiser, afin qu’elle puisse jouer aussi loin que possible son rôle éducatif, mais sans oublier qu’à partir d’un certain âge, elle n’est plus la seule instance de socialisation vers laquelle l’on doive se tourner pour comprendre les comportements de la jeunesse. En ce sens, il apparaît essentiel de renforcer, de professionnaliser et d’évaluer les structures de médiation entre les jeunes, leurs familles et les institutions, à commencer par l’école.

 

Notes

  1. Même dans un pays aussi paisible que la Suisse, on observe néanmoins que " le nombre de familles monoparentales était plus élevé en 1920 et en 1930 que de nos jours " (M. Aebi, Famille dissociée et criminalité : le cas Suisse, Kriminologisches/Bulletin de criminologie, 1997, 23, 1, p. 65).
  2. Les sanctions financières parfois évoquées dans le débat politique apparaîtraient en réalité particulièrement inefficaces voire produisant des effets contraires à ceux recherchés.

 

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La bibliographie du recueil ainsi qu'une bibliographie complémentaire

 

Références complètes des textes cités

Azéma B., La responsabilité pénale des mineurs, Informations sociales, 1999, 73-74, p. 88.

Blanchard S., Krémer P., Le gouvernement défend l'autorité parentale contre la dérive de certains jeunes, Le Monde, 28 février 2001.

Cardo P., Proposition de loi n°1403 relative à l'enfance en danger et aux mineurs délinquants, 17 février 1999.

Conseil Technique des Clubs et Équipes de prévention Spécialisée, Jeunes en rupture. Éducation parentale et relations familiales, Paris, Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, 1997.

Dagnaud M., Télé contre école et parents, Libération, 12 janvier 1998.

Delapierre G., La délinquance juvénile collective et le sentiment d'insécurité en milieu urbain, in Collectif, Les moins de 15 ans dans les quartiers en difficulté : repères pour l'action, Paris, FACE, 1996, p. 114-127.

Delbreuve H., in Table ronde, Le " travail " avec les parents, Les cahiers dynamiques, 1998, n°13, p. 5-10.

Delcroix C., Les parents des cités : la prévention des risques encourus par les enfants, Annales de la Recherche Urbaine, 1999, 83-84, p. 97-106.

Devrillon J., L’enfant et ses partenaires dans la famille contemporaine, in Le Gall D., Martin C., éds, Familles et politiques sociales. Dix questions sur le lien familial contemporain, 1996, p. 71-100.

Fize M., La démocratie familiale. Évolution des relations parents-adolescents, Paris, Les Presses de la Renaissance, 1990.

Groupe de travail du Comité des Politiques de la CNAF, La responsabilité et l’accompagnement des parents dans leurs relations avec l’enfant, Paris, CNAF, 1999.

Hurstel F., Rôle social et fonction psychologique du père, Informations sociales, 1996, 56, p. 8-17.

LeBlanc M., Des années 1970 aux années 1980 : changements sociaux et rôle de la famille dans l’explication de la conduite délinquante des adolescents, Annales de Vaucresson, 1988, 28, 1, p. 159-187.

Lorcerie F., Sur la mise en cause des familles par l’école, Informations Sociales, 1999, 73-74, p. 128-135.

Mucchielli L., Monoparentalité, divorce et délinquance juvénile : une liaison empiriquement contestable, Déviance et société, 2001, 2, p. 209-228.

Mucchielli L., Le contrôle parental du risque de délinquance juvénile : un bilan des recherches, Les cahiers de la sécurité intérieure, 2000, 42, p. 127-146.

Singly de F., L’enfant ni roi, ni victime de sa famille, in Langouët G., éd., L’état de l’enfance en France. Réalités et difficultés, Paris, Hachette, 1997, p. 203-223.

Strobel P., Irresponsables, donc coupables, Informations Sociales, 1999, 73-74, p. 24-41.

Théry I., Couple, filiation et parenté aujourd’hui. Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, Paris, Odile Jacob et La Documentation Française, 1998.

Trépanier J., Les délinquants et leurs familles, Revue de Droit Pénal et de Criminologie, 1995, 75, 2, p. 119-142.

Walgrave L., Délinquance systématisée des jeunes et vulnérabilité sociétale, Paris et Genève, Méridiens Klincksieck et Médecine & Hygiène, 1992.

Yvorel J.-J., Faut-il punir les parents ?, Les cahiers dynamiques, 1998, n°13, p. 17-18.

 

Bibliographie complémentaire

Aebi M., Famille dissociée et criminalité : le cas Suisse, Kriminologisches/Bulletin de Criminologie, 1997, 23, 1, p. 53-80.

Amato P., The "child of divorce" as a person prototyp, Journal of Marriage and the Family, 1991, 53, p. 59-79.

Commaille J., Martin C., Les enjeux politiques de la famille, Paris, Bayard, 1998.

Juby H., Farrington D., Disentangling the link between disrupted families and delinquency, British Journal of Criminology, 2001, 41 (1), p. 22-40.

Langouët G., éd., L’état de l’enfance dans les nouvelles familles en France, Paris, Hachette, 1998.

Larzerlere R., Patterson G., Family management as a mediator of the longitudinal effects of socioeconomic status on early delinquency, Criminology, 1990, 28, 2, p. 301-324

Lefaucheur N., Psychiatrie infantile et délinquance juvénile. Georges Heuyer et la question de la genèse "familiale" de la délinquance, in Mucchielli L., éd., Histoire de la criminologie française, Paris, l'Harmattan, 1994, p. 331-332.

Lefaucheur N., 1997, Pères absents et droit au père : la scène française, Lien social et politiques, Printemps, p. 11-17.

Martin C., L’après divorce. Lien social et vulnérabilité, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1997.

Mucchielli L., Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français, Paris, La Découverte, 2001.

Rutter M., Changing Youth in a Changing Society. Patterns of Adolescent Development and Disorder, Cambridge, Harvard University Press, 1980.

Sampson R., Laub J., Crime in the Making : Pathways and Turning Points throught Life, Cambridge, Harvard University Press, 1993.

Singly de F., Sociologie de la famille contemporaine, Paris, Nathan, 1993.

Wells L., Rankin J., The broken homes model of delinquency : analytic issues, Journal of Research in Crime and Delinquency, 1986, 23, 1, pp. 68-93.

Wells L., Rankin J., Families and delinquency: a meta-analysis of the impact of broken homes, Social Problems, 1991, 38, 1, p. 71-93.

 

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